Médecine observationnelle et épidémiologie de la dermatite séborrhéique (version française)

Traduction française de ma publication dans RAS Medical Science

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Le pouvoir de la médecine observationnelle sur l’épidémiologie de la dermatite séborrhéique

Résumé : La médecine observationnelle a résolu l’étiologie d’une dermatite séborrhéique familiale, une allergie à l’haptène nicotine et à l’allergène tabac. Aussi un traitement ciblé au cromoglycate de sodium puis aux sels de la Mer Morte montre bien l’implication des mastocytes tissulaires à la base des glandes sébacées. Récemment, des études épidémiologiques ont montré un lien de sévérité de la dermatite séborrhéique chez les fumeurs de tabac. Ainsi on peut conclure que la médecine observationnelle est beaucoup plus rapide à résoudre une maladie de peau que l’épidémiologie.

Mots-clés : dermatite séborrhéique, allergie, épidémiologie, mastocytes, dermatologie, nicotine, haptène, tabac, allergène, médecine observationnelle, histamine

Histoire de la dermatite séborrhéique

La dermatite séborrhéique a été décrite pour la première fois en 1887 par Unna (1) en raison de la présence de glandes sébacées situées sur le visage de patients atteints de ce syndrome dermatologique.

Huit ans plus tôt, Paul Ehrlich (2) identifiait les mastocytes tissulaires et plus d’un siècle plus tard, la présence des mastocytes était confirmée à la base des glandes sébacées. Dans son livre L’allergie à l’aube du troisième millénaire en 1997, l’immunologiste Claude Molina a bien décrit les mastocytes tissulaires autour des glandes sébacées (3).

À la fin du XIXème siècle, la fumée de tabac commença aussi à envahir les lieux publics. En 1903, la dermatite séborrhéique était encore rare (4). On assiste cependant à une consommation exponentielle de tabac après la Première Guerre mondiale et surtout après la Seconde Guerre mondiale. En 1978, des revues médicales ont commencé à s’inquiéter de la nocivité de la fumée passive de tabac pour les non-fumeurs (5).

Au cours du XXe siècle, la dermatite séborrhéique était traitée par corticoïdes locaux sans rechercher une étiologie précise.

Ma dermatite familiale

À quinze ans, en 1968, je présentais une dermatite des deux côtés du nez. J’avais remarqué que mon père avait cette réaction depuis 1930 à l’âge de vingt ans et que mes deux frères et ma sœur avaient la même réaction dermatologique sans en comprendre l’origine. Toute ma famille avaient des réactions allergiques, notamment de l’asthme aux acariens pour moi-même alors que d’autres membres de ma famille éternuaient beaucoup.

Après avoir arrêté mes études de médecine, je me suis réorienté dans un laboratoire de pharmacologie et toxicologie à Bâle en Suisse. J’ai alors pu me consacrer à la recherche de l’étiologie de notre dermatite familiale qui ressemblait à une dermatite séborrhéique.

La recherche d’une étiologie

J’ai observé que mon père fumait un cigare le dimanche et avait une réaction à son visage. De plus, il m’a montré une prescription de 1940 d’un dermatologue qui lui avait prescrit une solution contenant de l’épinéphrine à appliquer localement sur la réaction avec un effet notable. Pour ma part, je réagissais rapidement lorsque je me trouvais à côté de fumeurs de pipe et de cigares qui contiennent plus de nicotine. Début 1975, j’ai décidé d’appliquer une macération de feuilles de cigare sur mon avant-bras gauche. Au bout de 15 minutes, la réaction était intense avec urticaire et j’ai eu ensuite une réaction au visage. La même solution s’est révélée négative chez un collègue du laboratoire. Un médecin que je connaissais m’a fait la semaine suivante un test intradermique avec des extraits allergéniques de feuilles de tabac de l’Institut Pasteur au 1/100 000. La réponse a été très positive au bout de 15 minutes avec également une réaction au visage.

Récemment ma revue générale « Dermatite séborrhéique, origine et traitement » résume l’ensemble de mes recherches (6).

En effet, j’ai eu la chance de mener une intense recherche bibliographique dans la nouvelle bibliothèque de la Faculté de Médecine de Bâle. J’ai notamment découvert rapidement que le dermatologue allemand Karrenberg (7) avait provoqué un choc anaphylactique en 1928 après avoir appliqué une goutte à 1/1 000 000 de nicotine à une patiente souffrant de dermatite des mains, des bras et du visage suite à la manipulation de feuilles de tabac.

Après avoir confirmé notre réaction allergique familiale à l’allergène tabac et à l’haptène nicotine avec l’aide de trois laboratoires internationaux, j’ai publié mes résultats en 1978 démontrant ainsi l’importance de la médecine observationnelle (8). À cette époque, j’insistais déjà sur l’implication des basophiles sanguins et des mastocytes tissulaires à l’origine de notre réaction familiale.

Un traitement ciblé

Ensuite j’ai ensuite développé avec succès une crème au cromoglycate de sodium pour stabiliser les mastocytes tissulaires présents à la base des glandes sébacées (9). L’industrie pharmaceutique bâloise n’a pas poursuivi le développement de cette crème car des anti-leucotriènes étaient en cours de développement. La compétition pour les corticoïdes locaux était certainement aussi une autre cause .

Plus récemment, j’ai montré que la forte teneur en magnésium des sels de la Mer Morte pouvait stabiliser les mastocytes et empêcher leur dégranulation (10). Ce traitement naturel a déjà été utilisé avec succès par des milliers de patients depuis 2010 mais sans connaître le mécanisme exact de cette stabilisation de la dermatite séborrhéique, du psoriasis et de la dermatite atopique (11).

La nicotine comme haptène

D’abord, j’ai réfuté une étude de la célèbre revue britannique The Lancet début 1989. Les auteurs voulaient en effet minimiser les effets secondaires dermatologiques des patchs à la nicotine (7,7 mg, 13,8 mg et 21,2 mg de nicotine) en les comparant à un placebo qui contenait 1 mg de nicotine. J’ai écrit à l’éditeur qu’un placebo devait être neutre et il a publié ma réponse immédiatement (6).

En 1998, des chercheurs ont publié la confirmation de mes travaux concernant l’haptène nicotine sans me citer. Après un test de nicotine intradermique positif chez un patient hypersensible, ils ont appliqué un patch à la nicotine qui a provoqué de l’urticaire généralisée (6)

Ensuite, il a fallu encore vingt ans en 2018 pour tester accidentellement un patient atteint de dermatite séborrhéique avec de la nicotine. Les auteurs sont également amnésiques sur ma publication originale de 1978.

De plus, plusieurs publications ont fait état de réactions allergiques après utilisation de chewing-gum et de patchs à la nicotine avec mes réponses aux éditeurs (6).

La présence d’histamine et la corrélation allergique

Depuis 2011, trois publications ont démontré la présence locale d’histamine pour la dermatite séborrhéique (12,13,14). Nous savons que l’histamine est un médiateur libéré par les mastocytes tissulaires provoquant des rougeurs et des démangeaisons (15).

Par ailleurs, récemment, deux chercheurs ont noté un lien entre les allergies et la dermatite séborrhéique (16).

L’épidémiologie de la dermatite séborrhéique

En conclusion, on constate donc qu’il faut beaucoup de temps à partir de l’observation d’une réaction dermatologique malgré les tests allergiques et les effets secondaires des produits à base de nicotine pour relier la dermatite séborrhéique à un haptène dans la fumée de tabac active et passive.

Ainsi, l’épidémiologie fait seulement maintenant le lien entre la dermatite séborrhéique ou atopique et le tabagisme, 46 ans après ma première publication observationnelle (17, 18).

Finalement, on peut donc conclure que la médecine observationnelle est essentielle pour trouver l’étiologie d’une maladie dermatologique.

Bernard J.L. Sudan

[email protected]

Ex-Laboratory Head in Pharmacology and Toxicology (Retired)

Basel, Switzerland

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt

Références

  1. Unna PG. : Das seborrheische Ekzem. Monatsheft für praktische Dermatologie 1887; 6:827-846
  2. Ehrlich P. Beiträge zur Kenntniss der granulierten Bindegewebszellen und der eosinophilen Leukocythen. Arch Anat Phys. 1879; 166-9.
  3. Molina C. Allergy at the dawn of the 3rd millennium. John Libbey Eurotext, 1997, 204 pages.
  4. Pringle JJ : Rare seborrhoide of face. British Journal Dermatology, 1903, 41-47.
  5. Sudan BJL. Breathing other people’s smoke. British Medical Journal, 1978, 2, 295.
  6. Sudan Bernard. Seborrheic dermatitis, origin and treatment. AIMSIB, May 7, 2023 https://www.aimsib.org/2023/05/07/dermatite-seborrheique-origine-et-traitement/
  7. Karrenberg CL. Zur Kasuistik der phytogenen Berufsdermatosen: Hauterkrankung durch Tabakblätter. Dermatol Z. , 1928; 52:30–9.
  8. Sudan BJL. Contribution to the study of the allergenic role of tobacco smoke. Tobacco: an allergen, nicotine: a hapten. Allergy and Immunology (Paris), 1978, 8, 36-54.
  9. Sudan BJL, Sterboul J. Dermite séborrhéique et cromoglycate de sodium. Cutis (Paris), 1980, 4, 81-8.
  10. Sudan BJL. Magnesium of Dead Sea Salts as a Key Factor for the Treatment of Seborrheic and Atopic Dermatitis : A Case Report. Bioscientia Medicina : Journal of Biomedicine and Translational Research, 2024, 8(4), 4314-4318. https://doi.org/10.37275/bsm.v8i4.971
  11. Sudan BJL. Dead sea salts as a new approach for the treatment of seborrheic dermatitis, 2021. https://bernardsudan.net/dead-sea-salts-as-a-new-approach-for-the-treatment-of-seborrheic-dermatitis/
  12. Kerr K, Schwartz JR, Filloon T, et al. Scalp stratum corneum histamine levels: novel sampling method reveals association with itch resolution in dandruff/seborrhoeic dermatitis treatment. Acta Derm Venereol. , 2011; 91:404-8.
  13. HQM Al-Kenani. Detection Of Some Immunological And Biochemical Markers In Seborrheic Dermatitis Patients. Journal of Pharmaceutical Negative Results, 2022 ;13 : 213-218.
  14. Sudhahar Vijayaraghavan et al. Relationship between scalp histamine levels and dandruff within an Indian population: A confirmation study using LC/MS/MS method. Experimental Dermatology. 2022 ; 31 : 814-818.
  15. Sudan BJL, Sainte-Laudy J. Nicotine and Immunology. In: Drugs of Abuse and Immune Function. Watson RR ed., CRC Press USA; 1990. p.113-23.
  16. Barillo AA, Smirnova SV : Causal relationship between allergy and seborrheic dermatis, Bulletin of Siberian Medicine, 2022, 21: 13-18.
  17. Etgu F. Analysis of the epidemiology, coexisting skin diseases, and variables affecting seborrheic dermatitis severity. Med. Science. 2023;12(4):994-7.
  18. Alturki BA, Almutairi R, Al-Mutairi AG, AlrajhiD, Binyousef FH, Alzamil F. The effects of smoking on the severity of atopic dermatitis in Saudi Arabia. Cureus, 2023; 15(12): e5.

Bernard SUDAN
Bernard SUDAN

Ex Chef de laboratoire en toxicologie et pharmacologie LabHead Ciba-Geigy, CIBA, Novartis, Bâle, 1975-2006 Research Nicotine as a hapten in seborrheic dermatitis, The Lancet, British Medical Journal, British Journal of Dermatology, Food and Chemical Toxicology, « Nicotine and Immunology » in Drugs of Abuse and Immune Function Ronald R. Watson ed.

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https://blogs.mediapart.fr/bernard-sudan/blog/110720/dermite-seborrheique-et-fiasco-de-la-recherche-en-dermatologie

https://blogs.mediapart.fr/bernard-sudan/blog/170818/de-1887-2020-l-effondrement-du-dogme-de-la-dermite-seborrheique

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